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Pourquoi la fin du volailler Doux est une injustice sociale

Le volailler français Doux, qui a compté jusqu’à 13 000 salariés en France et dans le monde, a définitivement fermé ses portes ce mois de juin 2018. Nadine Hourmant, salariée mais aussi déléguée syndicale FO au sein du groupe, décrit dans cette tribune exclusive pour WikiAgri tous les épisodes qui ont conduit à cet immense gâchis, et réclame justice pour les salariés mais aussi les fournisseurs (dont les aviculteurs), victimes d’une gestion calamiteuse.

 

Le groupe Doux : une hécatombe – une injustice sociale
par Nadine Hourmant

L’entreprise familiale a été créée en 1955. En 2000, le groupe Doux a compté 13 000 salariés, a desservi ses produits à travers 130 pays, sur 5 continents.

Rappel historique, comment en est-on arrivé là ?

En 1998, le groupe Doux rachète l’entreprise Frangosul au Brésil, et le début des fermetures de sites français s’opère, Carhaix étant le premier d’une longue liste.

Le 1er juin 2012, le dépôt de bilan du groupe Doux est déposé auprès du Tribunal de Commerce de Quimper.

Pas une surprise, cet évènement était inévitable, et le syndicat FO Doux en avait fait état depuis 2010 aux diverses administrations et politiques du département du Finistère.

A cette date, aucune réaction, pire même un cautionnement avec le retour suivant : le groupe Doux est un employeur important sur le territoire.

Une période de redressement judiciaire de 18 mois s’ouvre avec une poursuite d’activité pour le pôle « export » et le pôle « élaboré », et la liquidation du pôle « frais » et le licenciement de 1010 salariés.

Cette poursuite d’activité est assurée par un actionnaire financier, seul repreneur, avec un objectif : « faire du fric ». Ce positionnement était connu dès 2012.

Sur cette même période 2012-2016, le dialogue social est renoué par la négociation d’accords d’augmentations de salaire, d’intéressements, de participation, de protection sociale… Un travail titanesque pour les organisations syndicales pour la reconnaissance des salariés.

Après de longues négociations en mars 2016, le groupe Terrena rachète Doux, les pôles « export » et « élaboré ».

Fin 2016, la coopérative Terrena engage un nouveau démantèlement avec la récupération du pôle « élaboré » et sa marque Père Dodu, numéro un sur le marché français, au motif de combler les pertes du groupe Doux en 2016, soit 36 millions d’euros.

Les pertes de Doux en 2016 sur le pôle « export » sont dues à la grippe aviaire avec la fermeture des frontières des pays clients historiques, la parité euro-dollar, et la concurrence déloyale des Brésiliens.

En 2017, Terrena, actionnaire majoritaire du groupe Doux, annonce : « 2017 est l’année décisive pour le groupe Doux. »

Septembre 2017, Terrena rentre dans un processus de recherche de partenaires pour Doux, avec une poursuite de financement de l’activité par les deux actionnaires (Terrena et Almunajem).

Un seul opérateur européen, l’industriel ukrainien MHP, entre en discussions sous l’égide du Ciri (Comité industriel de restructuration industrielle) et de la région Bretagne.

Mais faute d’entente, le Ciri reprend la main sur le dossier Doux et convoque en urgence à Bercy l’opérateur numéro un en France, LDC (familles Lambert, Dodard et Chancereul). Les discussions s’enchainent et une offre de reprise regroupant un consortium d’entreprises de la volaille pour la reprise des activités du groupe Doux émerge, plus précisément pour une reprise des activités de Doux sur la région Bretagne.

Le 4 avril 2018, la liquidation du groupe Doux est prononcée par le tribunal de commerce de Rennes avec une poursuite d’activité jusqu’au 31 mai 2018.

Sur la période du 4 avril au 14 mai, le travail des représentants du personnel et des organisations syndicales a été dense :

– Les rencontres avec l’ensemble des candidats repreneurs pour la présentation des activités reprises ;

– Les rendus d’avis des membres du CCE (comité central d’entreprise) et des CE (comités d’entreprise) de chaque établissement ;

– La négociation du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) sur le contenu, l’accompagnement par un cabinet spécialisé et le financement par l’actionnaire Terrena ;

– La communication auprès de l’ensemble des salariés par des comptes rendus verbaux sur leur temps de travail.

Cette négociation s’est terminée le lundi 14 mai à 22h30 par la signature d’un accord majoritaire entre les administrateurs judiciaires, Terrena et les organisations syndicales avec les mêmes dispositions que le plan de sauvegarde de l’emploi des salariés licenciés en 2012 et 2013.

Les derniers épisodes

Le 15 mai 2018, l’audience au tribunal de commerce de Rennes se tient avec une présentation des deux offres de reprises, MHP d’une part, et le consortium LDC-Almunajem- Terrena-Triskalia-Région Bretagne d’autre part.

Le 18 mai à 16 heures, le délibéré du tribunal de commerce de Rennes est rendu avec la reprise des activités par le consortium :

– Châteaulin Doux congelé 347 salariés + siège 20 salariés : groupe Almunajem, avec la création de la société France Poultry ;
– La construction d’un nouvel abattoir LDC en 2020 spécialisé dans l’abattage de volaille fraîche destinée au PAI (produit alimentaire industriel) ;
– Quimper Doux FPP : groupe LDC ;
– Plouray Doux : création de la société des Volailles de Plouray avec 68 salariés ;
– Chantonnay Doux : pas de repreneurs, fermeture du site de 145 salariés en CDI ;
– Amont Vendée : couvoir de Ballis : fermeture du site, reprise des fermes d’élevage et de l’usine d’aliment Terrena-LDC ;
– Amont Bretagne : création d’une nouvelle société Yer Breiz pour une durée de 30 mois avec les actionnaires LDC, Terrena, Almunajem, Triskalia et la Région Bretagne, regroupant les fermes d’élevage, le couvoir de L’Harmoye, l’usine d’aliment et les aviculteurs.

Dont acte, une énième décision de justice qui voit la fin définitive du groupe Doux sur le territoire français, entreprise ayant bénéficié d’un milliard d’aides européennes jusqu’en 2013.

Les interrogations fusent : « Sur le comment en est-on arrivé à cette situation de liquidation et qui sont les responsables ? »

Une injustice sociale émerge et toujours les salariés qui trinquent encore…

Les aviculteurs concernés

Mais les aviculteurs subissent également cette déferlante avec des deux impacts qui interrogent :

– d’ordre familial, un travail en famille à leur compte et donc pas les mêmes droits et les dispositifs d’accompagnement que les salariés ;

– d’ordre économique avec des emprunts financiers cautionnés sur leurs biens personnels.

Et donc un dilemme pour les aviculteurs : poursuite de l’activité avec des nouveaux investissements pour gagner en compétitivité et répondre aux demandes incessantes des administrations déconnectées de la vraie vie, ou arrêter et perdre son capital d’une longue vie de labeur et de manque de reconnaissance… Difficile de répondre à leur place !

Difficile d’accepter sachant qu’en 2018, une volaille sur deux est importée en France soit 3 millions de volailles par semaine avec des importations de Pologne, d’Allemagne, des Pays-Bas. Des décisions de nos dirigeants au nom de la concurrence européenne avec des pays qui pratiquent du dumping social, qui n’appliquent pas les mêmes règles sanitaires.

En Ukraine, les salariés du groupe MHP travaillent pour un coût horaire de 2 euros par heure de travail. Un salarié du groupe Doux après 28 ans d’ancienneté au coefficient 130 est rémunéré à 10,05 euros brut par heure (le Smic en 2018 est de 9,88 euros brut).

Des licenciements, y compris sur le site de Châteaulin

Et pourtant les salariés souhaitent garder leur travail, et ce malgré les conditions de travail difficiles et le manque de reconnaissance sociale. Le groupe Doux a été construit grâce aux petites mains et le seul remerciement est une lettre de licenciement, incompréhensible !

Petit focus, l’abattoir de Châteaulin a abattu plus de 510 000 volailles sur 20 heures de travail consécutif en 3 équipes est frappé par une réduction de 79 personnels en CDI. Une situation incompréhensible pour les salariés au vu de la présence de salariés en CDD et intérim qui eux ne sont pas concernés par le licenciement.

Les deux postes de travail impactés par les licenciements sont l’éviscération et le conditionnement avec l’application des critères qui sont l’âge, l’ancienneté, la situation familiale, la compétence professionnelle et la reconnaissance de travailleur handicapé.

La « liste de Schindler » est arrêtée et une situation extrêmement complexe psychologiquement pour les salariés (et à vivre pour les représentants du personnel), avec l’annonce à nos collègues de leur licenciement.

Les réactions des salariés sont bien différentes : certains pleurent, hurlent, d’autres se murent dans un silence avec une incompréhension totale et la fameuse question « Pourquoi moi ? ».

Comment accepter un licenciement d’un salarié-collègue de travail avec une ancienneté supérieure à 20 ans qui a donné tant et tant d’années pour le groupe Doux ?

Un accompagnement nécessaire

La première réponse a été d’accompagner les salariés par la mise en place d’une cellule psychologique et la présence des représentants du personnel au quotidien afin qu’ils ne se sentent pas coupables et de leur donner des nouvelles perspectives et que nous resterons à leur côté.  La vie ne s’arrête pas avec la liquidation du groupe Doux !

Un vrai travail individuel d’accompagnement pour une vraie reconnaissance sociale de chaque salarié, car derrière un numéro de matricule, une situation familiale avec un conjoint et des enfants malheureusement pas suffisamment pris en compte par les organes de la procédure (administrateurs judiciaires, tribunal de commerce…).

Mon rôle en qualité de déléguée syndicale FO est de se battre pour la reconnaissance et la gratification des salariés. Mais face à cette situation à laquelle vous êtes confronté, vous ne sortez pas indemne. Mais pas de temps à soi pour accepter, la rage rebondie face à cette injustice et le combat doit être mené pour les salariés afin de réduire cette « liste de Schindler » auprès des administrateurs judiciaires.

Ce travail a été mené pour une recherche des salariés se portant volontaires avec un projet de réorientation professionnelle ou un projet de fin de carrière avec en tête la date du 18 juin 2018 (fin de procédure).

A ce jour, les salariés sont licenciés et pour un grand nombre ont pris le CSP (contrat de sécurisation professionnelle), dispositif mis en place pour les salariés licenciés dans le cadre d’un licenciement économique, avec une rémunération à hauteur de 75 % de leur salaire de base sur une période de 12 mois.

L’injustice sociale

350 salariés licenciés avec la liquidation judiciaire du groupe Doux, personnel en production et personnel administratif, un abattoir rasé du territoire, quel gâchis tant sur le plan économique, que sur le plan humain !

Mais l’accompagnement des salariés licenciés se poursuit dans le cadre de rencontres hebdomadaires avec les représentants du personnel du CE de France Poultry.

Ces temps d’échanges permettent aux salariés de se retrouver, d’échanger et de répondre à leurs questions sur leur futur projet professionnel et pour certains de faire valoir leur priorité d’embauche dans la société France Poultry, des titularisations étant programmées sur fin septembre 2018.

Mais un objectif en tête : le préjudice subi par les salariés du groupe Doux ne doit pas rester impuni, que les responsables de cette situation soient condamnés.

Faute a été faite, sanction doit en découlée, la juste reconnaissance des salariés du groupe Doux !

Nadine Hourmant
Déléguée syndicale FO à France Poultry


Ci-dessous, photo prise au Brésil au début des années 2000, montrant l’usine Frangosul battre pavillon Doux.

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