case ih tracteur autonome

Les tracteurs autonomes, alliés ou dangers pour nos agriculteurs ?

L’agriculture va-t-elle connaitre un virage sans précédent ? La « toute automatisation » divise le monde agricole et au-delà, mais les projets arrivent. Inclus, l’interview de Matt Reimer, inventeur canadien d’un logiciel pour rendre un tracteur autonome.

La révolution technologique est partout. Inimaginables il y a quelques années, les objets connectés font désormais partie de notre quotidien. Présents dans presque tous les corps de métiers ils ont bouleversé bon nombre d’entreprises aussi bien aux niveaux organisationnel que stratégique.

Professionnels de plus en plus connectés, les agriculteurs ont eux aussi saisis et intégrés les enjeux liés à cette révolution technologique. Ils utilisent en effet de plus en plus leurs ordinateurs et smartphones pour acheter ou louer du matériel, suivre les évolutions des marchés, consulter la météo, se documenter sur les bonnes pratiques ou encore s’approvisionner en intrants.

Mais bien au-delà de ces évolutions dans les modes de décision, l’agriculture pourrait bien se transformer encore davantage dans les prochaines décennies et connaître un virage sans précédent. En effet, à l’instar de ce qu’a connu au cours du XXe siècle le secteur industriel, le milieu agricole semble en passe de basculer dans l’ère de la robotisation et des machines autonomes. Un nouveau business-model agricole est-il en train de naître?

Formidable pour certains, effrayante pour d’autres, la question de la « toute automatisation » divise le monde agricole mais aussi le grand public et pourrait bien devenir un réel débat de société dans les prochaines années. En effet, privilégier la technologie au détriment des caractères « artisanaux », humains et traditionnels de notre agriculture semble être difficilement concevable pour une bonne partie de l’opinion.

Case IH suscite les commentaires

Il y a quelques semaines déjà, avaient commencé à fleurir sur les réseaux sociaux de nombreuses photos et articles sur le premier tracteur autonome lancé par Case IH (vidéo en fin d’article). Les réactions des internautes se sont montrées assez partagées, tendant à montrer une certaine réticence à l’arrivée dans nos plaines de pareilles technologies. Pire, certains voient en ces nouveautés sonner l’heure d’une mort annoncée pour nos agriculteurs et notre agriculture en général.

Néanmoins, en regardant d’un peu plus près à la situation de nos exploitations on peut se demander si le développement de tracteurs autonomes ne présenterait pas une opportunité plutôt qu’un danger pour nos exploitants, c’est néanmoins ce que pense les constructeurs.

Ces deux dernières décennies ont été fortement marquées par la diminution du nombre d’Unités de travail humain (UTH) dans la plupart des exploitations. En cause notamment, un développement sans précédent des machines et outils toujours plus performants, une baisse des installations de jeunes, et la diminution constante du nombre d’exploitants poussant vers un agrandissement exponentiel des structures.

En résumé : des exploitations moins nombreuses mais de plus en plus grandes, une main d’œuvre de plus en plus limitée au sein des exploitations et un nombre d’heures travaillées par les agriculteurs qui explose.

Et si le salut des agriculteurs passait par une nouvelle forme d’aide au travail? La question reste en suspens, mais souvenons-nous néanmoins il y a quelques années du cas des GPS ou encore de celui des drones. Ceux-ci sont aujourd’hui devenus beaucoup plus accessibles et se sont réellement démocratisés car ils représentent de formidables outils de précision, offrent un gain de temps et de qualité pour les exploitants, ne nous y méprenons pas.

Interview de Matt Reimer, un Canadien qui a mis au point un logiciel pour tracteurs autonomes

Surfant sur ces tendances émergentes de l’autre côté de l’Atlantique, Matt Reimer, un « Géotrouvetout » canadien, a lui décidé de consacrer ces trois dernières années à l’élaboration d’un prototype de tracteur sans chauffeur par le biais d’un logiciel qui, bien qu’artisanal, se révèle bluffant. Son invention n’est pas passée inaperçue, il a ainsi totalisé près de 250 000 vues sur sa chaîne YouTube où il expose régulièrement ses créations à l’œuvre dans les champs.

Nous avons décidé d’échanger avec lui afin d’en savoir plus sur son invention, ses bénéfices et sa vision de l’agriculture du futur.

Pouvez-vous en dire plus sur la technologie que vous avez développée ?

Matt Reimer : « Cette technologie permet de contrôler un tracteur sans avoir besoin d’une personne assise dans la cabine : la direction, la vitesse d’avancement de l’engin, tout est contrôlé à distance. Je peux envoyer mon tracteur à n’importe quel endroit de la parcelle, l’ensemble est guidé par GPS. Par exemple sur la vidéo (Ndlr : en fin d’article), l’endroit où le tracteur doit aller est automatiquement déterminé par le logiciel présent dans la moissonneuse-batteuse. Pour le moment je m’en sers encore pour des tâches assez simples comme tracter la benne et y vider la trémie de la batteuse en marche par exemple. Mon logiciel est synchronisé à la batteuse, il obtient donc en permanence ses coordonnées et sait en temps réel où il doit se rendre dans le champ. Une fois la trémie de la moissonneuse vidée et la benne remplie, je peux directement depuis la cabine de la batteuse, indiquer au tracteur de faire demi-tour.

Combien de temps cela vous a-t-il prit de développer votre propre technologie de tracteur autonome ?

Ça m’a pris environ sept mois. J’ai commencé en janvier 2015, mais j’ai continué à travailler sur mon exploitation pendant ce temps-là. Même après quatre mois de travail sur le projet, je disais aux gens que j’en avais encore pour deux à trois ans à le rendre réellement opérationnel dans les champs. Au final, cela a été beaucoup plus vite que prévu, j’étais vraiment surpris et fier d’avoir accompli ce que j’ai fait.

Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez réalisé que cela marchait enfin?

J’étais vraiment en émoi, excité ! Je n’avais pratiquement aucune expérience dans ce domaine donc je n’avais pas de très fortes attentes en réalité. La première fois que je l’ai réellement testé dans les champs je dois avouer que ça n’a pas si bien marché… Mon père par exemple n’était vraiment pas très impressionné, il me disait même que ce que je faisais : faire avancer le tracteur seul « on pouvait déjà le faire avec le mode d’avancement automatique (Auto-Steer)». Mais je lui ai dit « Oui, mais papa je le pilote depuis l’autre machine… » Finalement pas mal de monde est venu voir comment ça marchait, c’était assez marrant pour moi.

Avez-vous prévu de vendre ou de déposer votre technologie ?

Oui, je vais tenter de la commercialiser ou du moins de voir s’il y un peu d’intérêt autour de mon invention au Canada. J’ai commencé avec de l’open source et je souhaiterais garder le projet libre pour pouvoir éventuellement continuer à le développer dans le futur. J’ai essayé de mettre en place un peu de documentation sur ma page GitHub, bien sûr ce n’est pas tout à fait complet mais il y a un « wiki » pour en savoir plus et où les gens peuvent aussi me poser des questions auxquelles je m’efforce de répondre.

Pensez-vous qu’il aura d’autres utilisations possibles pour cette technologie que vous avez développée?

Je pense que oui, il y a plusieurs pistes à explorer notamment avec l’open-source. Lorsque j’étais en Allemagne à l’AgriTechnica, j’ai rencontré pas mal d’agriculteurs allemands. J’ai ainsi réalisé que beaucoup de ces agriculteurs ne possèdent pas de GPS sur leur exploitation, ils n’utilisent pas non plus l’autoguidage car leur ferme est trop petite pour ce type de technologie. Une technologie comme la mienne pourrait par exemple leur permettre non pas forcément de contrôler à distance les machines sur ces exploitations mais créerait une bonne alternative, peu coûteuse afin d’automatiser la direction de leur matériel pour leur faire gagner du temps et de l’efficacité. Je pense que ça peut être assez intéressant voire révolutionnaire sur certains marchés.

Avez-vous pensé à changer de carrière et basculer complètement de l’agriculture au high tech?

Pas vraiment. J’aime l’agriculture et le fait d’habiter au milieu de nulle part. Je pense que si je travaillais dans le high tech, je n’aurais pas eu accès aussi facilement à un tracteur pour développer mon logiciel et que très peu d’agriculteurs m’auraient laissé expérimenter tout ce que j’ai fait avec leur propre matériel… C’est vraiment quelque chose que l’on doit faire avec son propre tracteur !« 

A travers cette entrevue, on peut mieux cerner les principaux enjeux de la technologie au sein du futur monde agricole. Le plus important sans doute : la technologie doit être un outil, un plus mais ne doit pas totalement effacer la place de l’humain dans l’exploitation. Elle peut l’aider à mieux travailler, mieux décider, lui faire gagner du temps mais en aucun cas le remplacer. Dans le cadre de travaux simples, on peut très bien imaginer un coup de pouce technologique: vous semez et le tracteur autonome vous suit avec le rouleau, votre parcelle sera finie deux fois plus rapidement.

NewHolland fait entrer les réseaux sociaux dans la danse

Matt Reimer, pionnier dans ce type technologie, a d’ores et déjà fait des émules parmi les plus gros constructeurs du marché. C’est ainsi que New Holland a lancé il y a quelques semaines un système assez proche du sien, fondé sur un logiciel desktop et mobile baptisé NH Drive conçu pour piloter et contrôler à distance ses derniers modèles de tracteurs. La marque a ainsi réalisé vraie opération communication et séduction sur les réseaux sociaux notamment avec son hashtag #TheDayTheFarmChanged.

La dimension stratégique n’a de cesse d’être renforcée au sein des exploitations, la tendance future sera peut-être de déléguer ou de se passer des tâches les plus basiques. En effet, le coup de pouce technologique pourrait par exemple aider les agriculteurs à consacrer plus de temps à la gestion de leur exploitation, à l’observation de leurs parcelles, à une vente efficace de de leurs récoltes pour ainsi assurer le développement de leur ferme et conserver plus de temps pour leurs proches.

Autant de facteurs ou éléments qui pourraient bien peser dans la balance pour motiver l’arrivée d’une nouvelle génération d’agriculteurs 2.0, biberonnés au high tech et dont les attentes sont bien différentes de celles de leur prédécesseurs.

Se réinventer, certainement l’un des enjeux primordiaux pour nos exploitations à l’aube d’une campagne 2016/2017, qui s’annonce plus que jamais compliquée et où beaucoup de questions tabous reviendront très certainement sur la table lors des prochains mois.

Une chose est sûre : nous n’en avons pas fini avec l’agriculture et les nouvelles technologies !

Cet article est fourni par
http://www.agriaffaires.com

Notre illustration est une copie d’écran issue de la vidéo ci-dessus.

Ci-dessous, vidéo de Matt Reimer.

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