du producteur au consommateur

Les recettes de Jacques Mathé pour réussir son projet en circuit court

L’économiste Jacques Mathé a réuni ses 30 ans d’expérience à observer les projets en circuit court pour en tirer un ouvrage, « 10 clés pour réussir dans les circuits courts ». Loin d’obéir à une tendance, il apporte une réflexion de fond sur le sujet. L’ouvrage est destiné à ceux qui veulent se lancer, ou à leurs accompagnants. Rencontre avec l’auteur.

D’où est venue l’envie d’écrire ce livre ?

Jacques Mathé : « Je n’avais jamais formalisé mon cumul d’expériences. J’ai rédigé une série d’articles, de business-plan et j’avais besoin d’écrire plus. Lors des conférences, on me demandait si j’avais un livre sur le sujet. J’ai répondu à une demande, du fait d’un vide. Il existe un potentiel des circuits courts qu’on a du mal à exploiter en France. C’est comme le tourisme, on fait de la cueillette !

Qu’est-ce qui différencie un producteur en circuit court d’un autre ?

J.M. : Les 10 clés de ce livre reposent en filigrane sur des rencontres. J’en retiens que les producteurs en circuit court sont des gens qui savent où ils sont ! La crise de l’agriculture est pour moi plus sociale, c’est une crise de positionnement, de sens. Chez ces producteurs, aucun n’a d’état d’âme. Ce qui présente une grande différence avec l’ambiance actuelle. Tous sont fiers de ce qu’ils font, ils ont une attitude plus positive que chez les producteurs en conventionnel. Cette attitude positive vient peut-être du fait qu’ils ont une relation directe avec leurs clients. Ils ont un retour qui valide ce qu’ils font. Chez les conventionnels, personne ne vous dit si vous avez bien travaillé.

« En agriculture, on a un problème avec l’argent,
on ne sait pas fixer le prix d’un produit.
Dans la majorité des cas,
c’est le client qui fait la facture.
Ceux qui réussissent assument leur politique de prix.
« 

Vous avez étudié plusieurs cas de circuits courts, quels en sont les points communs ?

J.M. : Le degré de curiosité. Ceux qui réussissent ont eu une bonne idée au bon moment, pas forcément une innovation, et ont agi avec beaucoup de bon sens. Ce sont des gens qui ont un talent, comme de savoir cuisiner. Ils ont aussi un professionnalisme dans le montage de leur projet. Ils savent compter, et savent où ils veulent aller. Le défaut majeur, c’est le sous-dimensionnement des projets, et trop longtemps. Au bout d’un moment, ils s’épuisent. La réussite vient d’un modèle pour faire vivre la famille. Il faut être ambitieux sur le projet et sa croissance. Il faut être ambitieux sur le volume. On ne vit pas sur le petit, là on est dans le cliché du milieu militant. Les bons sont de vrais chefs d’entreprise, pas des miséreux qui n’ont rien à vendre ! La deuxième dimension, c’est que, en agriculture, on a un problème avec l’argent, on ne sait pas fixer le prix d’un produit. Dans la majorité des cas, c’est le client qui fait la facture. Ceux qui réussissent assument leur politique de prix. On doit retrouver la valeur du travail dans le prix du produit. 

Les « meilleures recettes » ? Tout seul ou à plusieurs, à la ferme ou sur les marchés, en magasin ou en cantine… ?

J.M. : Il n’y a aucun exemple où les gens se développent par eux-mêmes. Il y a une notion de réseau, de partenariat. Même si le projet est très individuel, il y a toujours une dimension collective. Celui qui veut tout faire tout seul… C’est impossible ! Il y a une grosse déperdition. Stop, stop, stop ! La croissance de l’outil, il faut la partager avec quelqu’un.

Quelles sont les difficultés les plus généralement rencontrées par les porteurs de projet ?

J.M. : C’est l’ajustement entre ce qu’ils font et le prix auquel ils le vendent. La difficulté, c’est aussi gérer le développement et la croissance. Les plus performants sont ceux qui ont une grande efficacité dans leur travail, avec une organisation hors pair. Souvent, ils font un bon produit mais vont mourir à la tâche. Les circuits courts, c’est le royaume des astucieux. A chaque stade du processus de production, il y a du génie dans l’adaptation. Ce sont des « Géo trouvetou ».

Parlons international, quels sont les pays les plus engagés dans cette démarche de circuits courts ?

J.M. : La France n’est pas leader en la matière. En Europe, on trouve l’Italie où les grandes surfaces se sont développées il n’y a pas si longtemps. Les Italiens n’ont pas perdu le mouvement. Et ils ont une qualité de présentation… Je conseille à tous les producteurs d’aller en Italie pour trouver plein d’idées. Ce sont les Gucci des productions locales ! Il y a aussi la Suisse, malgré des conditions de production difficiles. C’est le taux le plus élevé en nombre de fermes par rapport aux productions en conventionnel. Les produits fermiers sont dans 25 à 30% des assiettes suisses. L’autre pays remarquablement innovant, ce sont les Etats-Unis, en circuit court mais aussi en bio, avec des schémas inimaginables en France. A chaque fois, il y a eu une imagination collective.

Les circuits courts sont-ils l’avenir de l’agriculture française ?

J.M. : La France a un potentiel fabuleux avec une offre qui n’arrivera pas à répondre à la demande, sauf à modifier la politique agricole. Mais, ça n’est pas l’avenir de l’agriculture. Les circuits courts participent de la diversité mais ça ne sauvera pas les miséreux. Il y a encore du monde qui peut rentrer dans ce système mais quand on aura atteint 20 % du panier de la ménagère, ce sera déjà énorme ! Le modèle conventionnel fonctionne bien et restera.« 

 

En savoir plus : http://www.editions-france-agricole.fr/10-cles-pour-reussir-dans-les-circuits-courts (tous les renseignements sur l’ouvrage de Jacques Mathé, 10 clés pour réussir dans les circuits courts, aux éditions France Agricole, 296 pages, 29 euros.

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/33730666.

Ci-dessous, Jacques Mathé.

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