communication en agriculture

Les 10 points clé de la communication de l’agriculture… et des agriculteurs !

Comment répondre aux enjeux de la communication en agriculture, en dix points clé.

Au fil des ans, la communication agricole (et des agriculteurs) revient régulièrement sur le devant de la scène, avec à chaque fois de nouveaux acteurs, de nouvelles ambitions, de nouveaux projets. Avec le recul, on a le sentiment d’un véritable gâchis de rendez-vous ratés comme le fonds de communication (l’Aficar, créée en 2006, il y a juste 10 ans et très vite abandonné !). Comment se fait-il qu’un tel secteur d’activité ne se soit pas doté d’une véritable stratégie et de moyens pour réussir à valoriser le « capital confiance » dont il dispose, malgré les crises successives. De leur côté, les agriculteurs sont aimés du grand public, mais se sentent critiqués. D’où vient alors cet impératif permanent de communiquer ? Et si communiquer, c’était d’abord et avant tout retrouver confiance en soi, donner du sens à son métier et de la valeur à ses produits, et au final trouver une vraie place dans la société comme dans les territoires ruraux où elle s’exerce ?

L’article ci-dessous complète plus qu’il amende l’analyse et les recommandations parues dans la dernière publication d’Eddy Fougier dans Wikiagri sur cette question.

Une bonne image, mais…

1. L’image de l’agriculture dans l’opinion publique est bonne

Voire très bonne. Beaucoup de professions aimeraient disposer d’une telle sympathie. Mieux, cela dure depuis longtemps : l’opinion publique fait plutôt confiance en ses agriculteurs… Seul problème, les agriculteurs n’y croient pas ! Ils se sentent mal aimés, peu considérés, parfois abandonnés et en mal de reconnaissance. Il faut donc commencer par là : se doter d’outils (sondages, baromètres) pour savoir où on l’en est, savoir ce qui contribue à un tel capital de sympathie pour renforcer l’estime de soi des agriculteurs et de leurs responsables professionnels. Trop peu de régions ou de filières se dotent de tels outils, sans oublier de les valoriser auprès de leurs mandants. Parmi les dernières initiatives, il faut saluer les sondages nationaux comme ceux d’Agridemain (BVA) ou régionaux, à l’image de celui réalisé récemment en Aquitaine ou en Bretagne (TMO pour Agriculteurs de Bretagne).

Pour autant, il ne faudrait pas tomber dans un optimisme béat (ou une posture d’arrogance) et occulter les problèmes ou interrogations qui demeurent en matière d’environnement, de santé ou de bien-être animal pour ne reprendre que les plus évidentes et auxquelles il faudra bien apporter des réponses. En la matière, il faudrait se doter sur ces questions sensibles d’outils de veille sociale (peu présents et encore moins disponibles pour un agriculteur lambda). L’objectif est ici d’anticiper les attentes sociales, de chercher à comprendre les raisons des mobilisations qui poussent certaines catégories de citoyens (dont certaines ONG) à interroger, voire à remettre en cause, l’agriculture dans ses pratiques et ses logiques de développement (débat sur les systèmes, les structures et les modèles), voire dans sa présence (cf  débats sur l’acceptabilité).

Â2. L’image est bonne mais… souvent très décalée de la réalité !

Le problème est bien là. Les sondés connaissent peu et mal l’agriculture d’aujourd’hui et encore moins les agriculteurs. C’est le résultat d’une mise à distance progressive par l’urbanisation, la (grande) distribution, la transformation…Finalement, l’image vient très rarement d’une visite de ferme, ou d’une confrontation avec la réalité des agriculteurs. L’image des agriculteurs est un condensé des multiples représentations disponibles dans les livres d’école, dans l’histoire des lieux (les paysages), dans les médias, dans l’imaginaire collectif ancien (les mythes) ou plus récent (les clichés ou  stéréotypes). Autant dire que certaines de ces représentations sont bien ancrées et qu’il est illusoire de vouloir les changer rapidement et encore moins à la faveur d’une opération ponctuelle (« one shot »).

Il faut noter que les agriculteurs sont dotés d’images plus positives (travail, respect, dignes de confiance…) quand l’activité agricole est sensiblement plus décriée ou interrogée dans ses pratiques (cultures, élevage) comme dans ses effets (ex : pollution).

La question n’est donc pas tant « d’améliorer l’image » comme on l’entend encore trop souvent. Si l’on n’y prend garde on pourrait même dégrader cette image, vu le degré de confiance de départ.  L’objectif est plus de réduire l’écart saisissant entre l’image (la représentation dans la tête des gens), de « la réalité », dans toute sa diversité et sa complexité !

ÂŽ3. Retrouver le chemin de la confiance

Quand on interroge les consommateurs sur les questions alimentaires (image globale de l’alimentation, degré de confiance, perception des risques liés…), suite notamment aux crises majeures (vache folle pour les plus anciens, lasagnes avec viande de cheval pour les plus jeunes), les agriculteurs sont nettement les mieux placés en termes de confiance et de crédibilité. Ce qui est loin d’être le cas des industries agroalimentaires, pourtant partenaires incontournables dans les filières alimentaires. Or nombre de questions sur l’agriculture partent d’une réflexion ou d’une réaction sur l’alimentation, ce qui représente une rupture historique qui oblige les agriculteurs et leurs organisations (coopératives, interprofessions…) à se positionner de manière volontariste sur le terrain de l’alimentation. Cela suppose un effort de déplacement pour abandonner – momentanément – le champ de l’agriculture et de la production agricole en partant d’abord des questions des consommateurs.

En clair, les agriculteurs sont très bien placés pour rassurer les consommateurs, mais ils sont attendus, sur la qualité de leurs produits, leur professionnalisme, mais aussi y compris sur des questions sensibles et compliquées, comme les pesticides ou le bien-être animal. Encore faut-il qu’ils en soient persuadés et préparés à assumer cette fonction à travers des portes ouvertes ou une présence sur les lieux de vente (dans les linéaires… ou sur les emballages !).

4. L’image est beaucoup plus « mitigée » et critique dans les médias

Mais cela est vrai pour presque tous les secteurs d’activité ! Il en va des modalités de fonctionnement des médias dans le traitement de l’actualité (agricole ou non). Là encore, il faut se garder de généraliser au point d’en faire le bouc émissaire en partant, l’élément-clé d’une stratégie de communication, avec la tentation d’allumer des contrefeux dans les réseaux sociaux. En effet, il arrive aussi aux journalistes de bien faire leur travail, d’aller enquêter en profondeur et de tenter de resituer une réalité socioéconomique difficilement réductible à un seul témoignage ou pire, à une vision binaire (le conventionnel versus le bio, les circuits longs vs les circuits courts…). Lors de la crise actuelle (depuis juillet 2015) ou même à l’occasion du dernier Salon de l’agriculture, l’agriculture a donné lieu à de nombreuses enquêtes fouillées, des émissions grand public et de remarquables reportages sur le terrain. Même des étudiants journalistes y sont allés de leur web-documentaire… ou de leur dossier très documenté.

Â5. Cette vision critique est aussi très partagée par les relais d’opinion (ou leaders d’opinion)

Les journalistes en font partie, à côté des élus, et des représentants d’associations diverses (consommateurs, environnementalistes) ou des experts de tout poil. Ces relais d’opinion, par leur statut et leur profession, sont mieux informés, plus critiques. Comme on le dit souvent, ils préparent (ou préfigurent) l’opinion de demain ! Ces relais d’opinion comme nombre d’experts de l’agriculture sont omniprésents dans les débats publics souvent organisés dans une visée « politique ». Lors de nombreux colloques ou débats publics, sans parler des débats locaux au sein de collectivités locales (conseils municipaux par exemple amenés à s’exprimer sur des projets de création ou d’extension d’élevage), il est de plus en plus fréquent que ces débats « agricoles » (sur l’alimentation par exemple) se déroulent sans la présence d’un seul agriculteur…A qui la faute ? Il faudra bien se doter de porte-parole, si possible en dehors des écuries syndicales, pour représenter et défendre les intérêts légitimes de la profession, pour porter la voix des producteurs dans les multiples controverses.

6. Parler de l’agriculture… et des agriculteurs, d’aujourd’hui… et de demain

L’image de l’agriculture est complexe et multiple tout comme la réalité dont elle n’est que l’expression. On ne peut parler d’image sans faire référence à la réalité de l’agriculture qui est tout aussi complexe et très diverse. On ne peut pas faire l’impasse sur le lien entre l’image (perçue) et la réalité qui renvoie à l’identité individuelle et collective, sociale et professionnelle. Quoi de commun entre un céréalier de la Beauce et un éleveur de montagne, entre un arboriculteur en vente directe et un propriétaire de domaine viticole, entre un néo-paysan adepte de la permaculture, souvent non issu du milieu agricole (les fameux NIMA) et un héritier de la ferme familiale. Cette diversité est une chance, une richesse, un atout plus qu’un handicap…Mais cette complexité est difficile à saisir, à transmettre et à comprendre, pour les agriculteurs eux-mêmes et pas seulement pour les journalistes. A travers les questions d’identité, on est loin des seuls outils de communication, car l’enjeu est ici de savoir mettre en avant les raisons et motivations qui portent les choix d’être agriculteur, au-delà de la passion.

Cette image est nécessairement datée, liée au passé (un patrimoine historique commun). Mais ce n’est une raison de préparer et de construire l’image de demain. Ce chantier fondé sur la pédagogie, l’éducation, doit s’inscrire dans la durée comme tout investissement immatériel. Si la technique (ou le progrès) apparaît comme un des éléments-clé, il ne faut pas oublier les multiples missions de l’agriculture (et en priorité, la fonction nourricière), comme ses dimensions symboliques.

7. Un isolement en nombre

L’agriculture souffre non seulement d’un isolement numérique lié à la démographie (et au non renouvellement des générations) mais aussi géographique. Tous les sociologues mettent en avant cette révolution silencieuse (unique dans l’histoire de l’humanité) de passage d’une majorité à une minorité, y compris dans les communes (et familles) rurales. Cette double situation entraîne une réduction substantielle des occasions de relations et du manque de relations entre les agriculteurs et leurs congénères. Il faut donc penser en termes de liens plutôt qu’en termes de savoirs ou de biens (produits, techniques…) et pas seulement en manque d’informations qu’il faudrait combler ou d’une mauvaise image qu’il faudrait rectifier…

Dans cette optique la communication de proximité doit être réhabilitée en tant que telle auprès des membres de la famille, des voisins, des visiteurs (randonneurs, clients en vente directe…) en ré-introduisant les valeurs liées à la fonction nourricière et à l’alimentation dans ses dimensions sociale et culturelle (convivialité, plaisir, partage…).

8. Une richesse patrimoniale à partager

L’image et la réalité agricole sont riches de symboles, de culture, de sens, de richesses patrimoniales (exemples : cuisine et traditions de terroir, paysage, biens communs comme les ressources naturelles : eau, sol, biodiversité…). En ce sens, l’agriculture est une activité spécifique, qui est tout, sauf anodine. On l’oublie trop souvent lors des crises sanitaires ou environnementales. Sa première mission est nourricière (nourrir les gens, dont ceux qui vivent à proximité). Elle s’appuie sur les ressources naturelles (eau, sol, biodiversité…) et sur les processus biologiques fondamentaux (ou « naturels »), même si l’activité peut paraître artificielle ou industrielle. Comme tous les symboles, ceux-ci n’appartiennent à personne mais à la communauté (une région, un pays…). Il s’agit donc de les partager, d’échanger, de mettre en commun (voire co-construire), plus que « communiquer » ou « faire passer un message » comme si l’on détenait le « sens propre ».

9. Changer de posture

Devant les interrogations de certains et les accusations d’autres, le risque est de chercher à se justifier ou à se réfugier notamment derrière des arguments techniques ou économiques. Là aussi, la pédagogie est nécessaire pour comprendre le bien-fondé de certaines questions (ex : protection de l’environnement, bien-être animal) et y répondre à partir de ses pratiques (cultures, élevage), ses choix techniques (systèmes de production) et les choix stratégiques. Il est intéressant de faire référence aux (bonnes) raisons qui président à ces choix (contraintes, difficultés de changer, mais aussi valeurs positives,  progrès réalisés…). Devant la multiplicité des interpellations, la tentation la plus forte est de se replier sur soi, par peur de la remise en question. A l’opposé, pour compenser le déséquilibre numérique, d’autres peuvent être tentés de  faire pression sur l’opinion publique, quitte à chercher à la manipuler, ou plus encore à miser sur les relais d’opinion à la faveur d’opérations de lobbying. Le risque d’un retour de bâton n’en est que plus élevé.

10. Etre fier de son métier, partager sa passion et ses produits

Les sondages favorables aux agriculteurs devraient chasser les mauvais démons de l’estime de soi négative… éviter le repli sur soi –ou l’entre soi – et favoriser l’ouverture au reste de la société sur la base d’une confiance à retrouver. Il y a tant à dire sur les acquis et des atouts de l’agriculture (terroirs, qualité, tradition…) et des secteurs liés (agroalimentaire, gastronomie et cuisine, traditions culinaires, tourisme et paysage…), des évolutions passées… Bref, de belles histoires à raconter en abandonnant le registre du discours technique, trop rationnel, qui n’incite pas beaucoup à rêver, ni à partager. Encore faut-il savoir en parler avec le ton et les mots justes (quitte à se former pour cela), bien connaître ses produits, savoir les apprécier (et donc les manger et parfois les cuisiner) et surtout les valoriser, ce qui suppose d’en identifier la valeur, plus que les volumes ou tonnages sortant de « l’exploitation » (un terme à l’opposé d’une communication positive). Fierté ne veut pas dire arrogance (« C’est grâce à nous que vous avez encore à manger »), ni déni en évitant les conséquences négatives ou « effets pervers » de l’activité (ex : effets sur le paysage ou sur l’environnement…).

En effet, le sens du métier ne vient pas tant de la technique que de son lien avec les objectifs recherchés : qualité du produit, protection de l’environnement, protection des plantes, santé des animaux. Les choix techniques (doses d’engrais, choix d’une variété ou d’une espèce, d’un système de production …) ne prendront tout leur sens que s’ils sont rattachés aux préoccupations de nos concitoyens : leur alimentation, leur cadre de vie (ressources naturelles), leur patrimoine (paysage, biodiversité…). L’enjeu est donc multiple : passer d’une culture du produit à celle d’une filière, passer de la matière première -le minerai- à celle d’un bien consommé, partie intégrante d’une chaîne alimentaire. C’est en ajoutant de la valeur qu’on sera plus à même de récupérer de la valeur ajoutée.

Les agriculteurs vivent au quotidien cette double « pression » interne et externe. Certains s’y résignent, d’autres refusent cette adaptation nécessaire. Nombre d’entre n’hésitent pas à communiquer sur leurs stratégies d’adaptation de leurs pratiques. La valeur attachée aux produits agricoles et alimentaires, et au-delà au métier, viendra donc de la capacité à leur rattacher des composantes immatérielles et relationnelles (origine, information, image…) qui lui donnent tout son sens auprès de ceux qui les consomment ou tout simplement vivent à nos côtés, à commencer par les proches : parents, voisins… L’enjeu est colossal : passer de la culture du champ… au champ d’une nouvelle culture.

La communication ne pourra se résumer à des actions sporadiques, ni à un repositionnement de circonstance. L’enjeu mérite une véritable stratégie. Ceux qui, sur le terrain, ont fait ce choix en sortent réconfortés. La voie est donc montrée, mais à l’échelle nationale elle ne peut s’improviser.

Rémi Mer
journaliste et consultant en communication

 

 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/agriculture-et-communication-comment-reprendre-la-main-/9600 (précédent article de Eddy Fougier sur la communication, qui a inspiré cette « suite » à Rémi Mer) ; http://www.bva.fr/fr/sondages/les_francais_ont_une_image_decalee_de_la_realite_de_l_agriculture.html (sondage de BVA pour Agridemain) ; http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2016/05/Pr%C3%A9sentation-Harris-Regard-sur-lagriculture-r%C3%A9gionale-Chambre-dagricultre-Aquitaine-Limousin-Poitou-Charent1.pdf (sondage de la « grande Aquitaine » à la demande de la Chambre régionale d’agriculture et du Coneil régional) ; http://www.agriculteurs-de-bretagne.fr/slides (sondage d’Agriculteurs de Bretagne) ; http://www.ifop.com/media/pressdocument/774-1-document_file.pdf (le quotidien Ouest-France fait réaliser depuis maintenant plus de 15 ans un sondage sur l’image des agriculteurs dont cette synthèse est parue en septembre 2014) ; http://www.paysansaterre.fr (web documentaire des étudiants de l’IUT journalisme de Lannion réalisé en pleine crise durant l’hiver 2015-2016) ; http://blog.epjt.fr/?post/2014/02/17/Mal-%C3%AAtre-des-agriculteurs (celui de l’IUT deTours) ; http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_2004_num_56_1_1653  (sur l’identité de crise, lire mon article « Agriculteurs, paysans & co : crises d’identité et identité de crises ». Quaderni, 2004, vol 56).

Notre illustration est issue du site Fotolia, lien direct https://fr.fotolia.com/id/116410570.

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