cerises drosophile suzukii

Le temps des cerises, en France, c’était avant…

Jérôme Mazely, arboriculteur des Bouches-du-Rhône (entre autres producteur de cerises) avait été l’auteur d’une tribune prémonitoire sur WikiAgri (lire ici) sur l’influence de la géopolitique sur notre agriculture. Les événements récents l’incitent, ci-dessous, à actualiser son propos.

La géopolitique s’en est mêlée. Le ministère de l’agriculture française vient de retirer de la liste de sauvegarde la Turquie en ré ouvrant ses frontières aux importations de cerises. Ce pays autorisant l’utilisation de l’insecticide diméthoate (interdit en France depuis 2016) pourra librement commercialiser ses cerises.

L’agriculture française a longtemps été protégée par des politiques conscientes de la nécessité d’assurer l’indépendance et la sécurité alimentaires de la France, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous revoilà, nous agriculteurs, dans l’arène des atermoiements du ministre de l’Agriculture. Ministre qui se trouve être le vassal du ministre des Affaires étrangères.

Sera-t-il possible un jour de pouvoir vivre en France de l’agriculture ? Sans ce fardeau politique qui au lieu de nous aider nous asphyxie en jouant double jeu.

Nous sommes devenus en quelques années le bouc émissaire d’une société adulescente capricieuse et obsédée du toujours plus qui a perdu toute notion de ce que veut dire produire.

Nous sommes au centre d’exigences sociétales et environnementales, méprisés parce que nous existons, et de ne pas assez nous excuser de nourrir une population qui s’est vue en un siècle gagner en taille, gagner en espérance de vie et gagner en confort de vie mais il faut bien quelqu’un à détester, pour occuper les esprits et détourner l’attention et voilà donc l’agriculture régulièrement pointée du doigt.

Mais l’agriculture résiste, elle est le cadre de la vie et la vie prend toujours le dessus, alors l’agriculteur s’adapte malgré tout, il se certifie (Global Gap, Verger Eco Responsable, Label Rouge), il adapte ses pratiques.

L’agriculteur dans son labeur, fier de son métier, travailleur, avance avec une pression psychologique, administrative et financière quotidienne, mais avec des règles du jeu faussées, sentant qu’à tout moment on se jouera de lui, et le jeu a pris forme.

En 2016, je prenais ma modeste plume pour alerter d’une possible menace sur nos productions françaises par la puissance agricole de la Turquie, et j’énonçais déjà qu’un marchandage politique pourrait avoir lieu, dont la monnaie d’échange serait la production agricole française.

La situation qui nous occupe aujourd’hui est symptomatique de l’inconsidération de l’agriculture par nos gouvernants et de l’incompréhension de nos concitoyens mal informés.

En 2008 la mondialisation apporte dans nos contrées une mouche asiatique que tous ceux qui ont un cerisier dans leur jardin ont malheureusement appris à connaitre.

Cette mouche, la drosophile suzukii, a trouvé en France un habitat favorable à son développement sans y rencontrer de prédateur.

Les arboriculteurs faisant face à ce fléau n’ont eu d’autre choix que d’utiliser un produit phytosanitaire qui n’était plus utilisé depuis des années. Dans la foulée, par crainte d’un pseudo scandale sanitaire et dans une dynamique démagogique et environnementaliste, le gouvernement français, par volonté électoraliste, a retiré le diméthoate des produits phytosanitaires utilisables. Devant l’incompréhension des arboriculteurs français face à ce couperet politique, l’Etat a accordé une clause de sauvegarde sur les pays européens et étrangers employant toujours le diméthoate. Voilà la géopolitique qui met son grain de sel.

Voici l’équation dont le résultat est la mise en péril de la production de cerises en France car la Turquie, 1er producteur mondial de cerises fraiches et d’industrie (les cerises congelées servant à la transformation ne sont soumises à aucune restriction à l’import), peut désormais exporter également des cerises fraiches en respectant ses propres doctrines.

Il me semble évident que la Turquie a eu beau jeu de promettre à l’Europe de retenir sur son territoire les afflux de migrants en partance pour l’Union Européenne et en contrepartie d’obtenir de la France en 2018 son retrait de la liste des pays non autorisés à l’importation de cerises fraiches.

Loin des effets de manche et des beaux discours, voilà une décision qui ne fait pas de bruit, pas d’état d’âme, mais dont la conséquence est nocive à la protection de la population française.

Donc voilà les arboriculteurs français d’un côté dépourvus de moyens pour lutter efficacement contre cette mouche, et de l’autre soumis à une concurrence inégale.

Nous sommes devenus le jouet des environnementalistes, des politiques voulant montrer qu’ils agissent et qui, par souci de légitimité, imposent des lourdeurs administratives, augmentant ainsi nos coûts de production, mais nous contraignant à baisser nos prix de vente.

Ce choix politique a des conséquences graves, il entraine une diminution de la commercialisation au profit de cerises turques moins chères et aux risques sanitaires plus élevés et là je ne vois pas de reportage télévisé, de leader d’opinion prendre position pour défendre notre agriculture progressiste face à ce qui est évidemment le reniement de tous les palabres de nos gouvernants.

Tous ces reportages, toutes ces prises de paroles pour dénoncer les « mauvais et méchants paysans français » de la part de l’intelligentsia se revendiquant écologiste créent dans ce climat des relations délétères avec nos concitoyens. Ils ne sont au final qu’opportunistes pour exister face aux flots d’informations, mais quand il s’agit d’une réelle prise d’opinion, d’une réelle protection de l’agriculture, pour défendre notre souveraineté alimentaire, là il n’y a plus personne.

La Turquie est trop puissante, les enjeux trop importants, alors le silence est la norme et la peur se drape dans sa vertu. La variable d’ajustement est toujours et encore le paysan dans sa campagne au milieu de sa production qui la veille et l’espère, lui cet agriculteur qui se bat contre la météo, contre les ravageurs, et que l’on pointe du doigt mais qui fait de son mieux, à qui on demande tout et son contraire pour au final le laisser seul quand les projecteurs s’éclairent dans d’autres directions…

Jérôme Mazely
arboriculteur


Du même auteur sur WikiAgri : https://wikiagri.fr/articles/migrants-turquie-ne-nous-faisons-pas-avoir-deux-fois-avec-lembargo-russe-!/8072

Ci-dessous, cerises attaquées par le drosophilie suzukii.

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