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Le refus d’augmenter les retraites agricoles focalise l’ensemble de la classe politique contre le gouvernement

C’est sans conteste le « fait de la semaine » en agriculture. Alors que députés et sénateurs s’étaient entendus, à l’unanimité, pour revaloriser les retraites agricoles – parmi les plus basses en France – le gouvernement a utilisé une procédure rarissime (le « vote bloqué ») l’autorisant à refuser ce choix parlementaire. Ce qui a provoqué un véritable tollé, à la fois social et politique.

L’article 44-3 de la Constitution est très rarement utilisé. Il est le pendant, pour le Sénat, du plus célèbre 49-3 réservé lui à l’Assemblé. En d’autres termes, il autorise le gouvernement à statuer contre l’avis parlementaire. Or cet article 44-3 vient d’être brandi par le gouvernement… pour refuser d’augmenter les retraites agricoles, alors qu’elles sont peut-être les plus basses en France.

Plusieurs événements en un seul

Ce « vote bloqué » a fait beaucoup de bruit à la fois dans le landerneau agricole, et en politique. La forme, relativement violente (l’équivalent du 49-3, si souvent décrié, rappelons-le), mais aussi le fond : que ce soit en défaveur de retraités agricoles, c’est-à-dire de personnes qui ont travaillé toute leur vie pour nourrir autrui et qui se retrouvent à la retraite avec un revenu des plus maigres.

Le gouvernement, de son côté, a justifié cette intervention par le fait qu’une réforme des retraites doit avoir lieu dans deux ans, et qu’il préfère que tous les cas particuliers soient traités en même temps, uniformément, à ce moment-là… Un argument de cohérence qui pourrait être recevable, s’il n’y avait derrière des enjeux humains qui ne peuvent attendre. En 2013, les retraités agricoles étaient sous le seuil de pauvreté. Depuis, il y a eu quelques mini ajustements, mais à la marge uniquement.

Les réactions ont été nombreuses, en particulier chez les sénateurs. Le communiste Pierre Laurent évoque sur son compte Twitter un « oukase inadmissible du gouvernement au Sénat contre les retraites agricoles, le Parlement et la démocratie ». L’UDI Sylvie Goy-Chavent, sur son compte Facebook, y va d’une note personnelle : « Moi qui suis fille d’agriculteurs, je suis scandalisée, outrée, déçue et surtout fâchée. En effet, les retraites agricoles françaises sont les plus basses, en gros 650 €/mois. Pour rappel, nos agriculteurs sont bien malmenés : revenus très faibles, travail dur et ingrat, zéro congés, retraites indécemment basses… et j’en passe. Quel mauvais signal envoyé au monde agricole par le gouvernement Macron/Philippe. C’est un scandale ! » Le LR Daniel Gremillet a envoyé un communiqué à la presse où l’on peut lire notamment : « Cette revalorisation n’entrait pas en contradiction avec la refonte annoncée de l’ensemble des systèmes de retraite. Le niveau des pensions agricoles sont tellement faibles actuellement qu’on ne peut envisager que les agriculteurs demeurent en deçà du seuil de pauvreté. » Enfin reprenons les propos tenus la socialiste Monique Lubin à notre confrère Sud-Ouest : « C’est comme si on utilisait une kalachnikov pour tuer un ver de terre. Alors que ce projet de loi avait été adopté par l’assemblée nationale en décembre 2016, alors qu’il y avait eu unanimité à la commission des finances du Sénat pour voter le texte dans les mêmes termes, ce qui aurait permis de promulguer la loi immédiatement et mettre fin à une grande injustice. »

En d’autres termes, les sénateurs de tous les groupes politiques ont fait bloc contre la décision gouvernementale, sans pour autant, on s’en doute, s’être concertés préalablement… Ou comment ce « vote bloqué » a créé une sorte de plateforme improbable rassemblant tous ceux qui sont contre…

Par rapport aux agriculteurs eux-mêmes

Selon le site internet « la retraite en clair », en 2016 la retraite agricole concerne 1 181 583 exploitants et salariés agricoles cotisants à la MSA (mutuelle sociale agricole), dont 495 539 cotisants non salariés (chefs d’exploitations si vous préférez), et 686 044 cotisants salariés. Pour les seconds, la retraite complémentaire est gérée par l’Arrco (comme pour tous les salariés) et l’Agirc s’ils sont cadres, ce qui n’est pas le cas pour les agriculteurs eux-mêmes… Et c’est donc pour eux qu’il convient, de toutes façons, de réfléchir à une réévaluation, quitte à modifier le système actuel et son financement. Evidemment, le vote sénatorial faisait abstraction de cette réflexion d’ensemble, et en appelait donc, en attendant le fameux débat sur les retraites qui doit avoir lieu dans deux ans, à la solidarité nationale.

Il y a donc un coût, que le gouvernement, par la bouche de Christophe Castaner, chiffre à 400 millions d’euros, mais qui devrait plutôt avoisiner presque la moitié, près de 232 millions d’euros, si l’on tient compte que la dernière réévaluation, de 50 € chacun, a coûté 100 millions d’euros en 2017, et qu’il est question ici d’une augmentation de, précisément, 116 €… Il a donc fallu doubler l’ardoise pour justifier du refus !

Qui plus est, cette logique comptable a une limite, celle de l’élémentaire humanisme. Considérer que ceux qui ont travaillé toute leur vie pour nourrir la population doivent continuer à percevoir les plus basses retraites en France, n’est-ce pas s’attaquer à la dignité humaine ? Dans des arbitrages budgétaires récents, certaines catégories socio-professionnelles auxquelles la nation est bien moins redevable ont connu plus de largesses…
 

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