hop la local

Le plaidoyer de Sébastien Pelka en faveur des circuits courts

Les circuits courts sont dans l’air du temps. Sébastien Pelka a accordé un long entretien à WikiAgri sur ce sujet, en estimant que ce mode de distribution est la bonne réponse aux interrogations des consommateurs et des producteurs. Il donne même ici les clefs pour aider les magasins de producteurs à réussir sur le plan commercial.

Le contexte actuel semble être particulièrement favorable aux circuits courts que le ministère de l’Agriculture définit comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur ».

Les consommateurs ont besoin de réassurance et de transparence, ainsi que l’affirme le récent rapport du Think tank agroalimentaire, Quels chantiers pour restaurer la compétitivité de la filière alimentaire française ?. Ils veulent donc des produits de qualité, des produits qui soient bons pour la santé, et peu ou pas nuisibles à l’environnement. Ils souhaitent aussi connaître le producteur et son produit, ainsi que leur histoire, favoriser les producteurs locaux et l’économie des territoires, etc. Les producteurs, quant à eux, on le voit bien dans la crise actuelle, ont besoin d’être assurés de vendre leurs produits à un prix supérieur à leurs coûts de production et d’avoir des canaux de distribution leur garantissant une sécurité des débouchés. Enfin, les intermédiaires traditionnels sont, à tort ou à raison, de plus en plus décriés et perçus comme inutiles, voire nuisibles à la fois pour le consommateur et pour le producteur. C’est ce qui explique en grande partie, par exemple, le succès de l’économie collaborative ou le processus d’« ubérisation » de secteurs d’activité toujours plus nombreux.

Dans un tel contexte, les circuits courts ne sont sans doute pas la panacée, c’est-à-dire la Solution avec un grand S pour sortir de la crise agricole et de la crise de défiance d’une partie des consommateurs vis-à-vis du mode de production agricole intensif et du mode de transformation des denrées agricoles opéré par les industries agroalimentaires. Les spécialistes expliquent même que cela ne garantit pas nécessairement une meilleure qualité des produits, que ce n’est pas nécessairement mieux pour l’environnement que les circuits longs et même que les ventes en circuits courts sont moins importantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a quelques années, en particulier en raison de la multiplication des réglementations de toutes sortes qui tendent à limiter leur développement.

Il est néanmoins évident qu’aujourd’hui les circuits courts sont bien dans l’air du temps. Ils sont, dans une certaine mesure, le reflet de la tentation d’une société française en manque de repères d’en revenir quelque peu aux « fondamentaux », à une certaine forme de tradition et de relocalisation rassurantes dans un contexte global où le monde apparaît de plus en plus effrayant.

Pour en savoir plus sur les circuits courts, WikiAgri a donc décidé de s’adresser à Sébastien Pelka, que certains surnomment le « Etchebest du commerce » et qui est l’un des meilleurs connaisseurs de ce mode de distribution, et sans doute l’un de ses plus ardents défenseurs. Il nous a accordé un long entretien sans langue de bois. Il y défend notamment l’idée que les circuits courts sont bons à la fois pour les consommateurs et pour les producteurs, que les magasins de producteurs doivent se professionnaliser et que les producteurs doivent en conséquence devenir des commerçants à part entière s’ils veulent réussir. Il distingue également les circuits courts qu’il juge « authentiques » d’autres qui se présentent néanmoins comme tels. Enfin, il donne les clefs de la réussite commerciale dans le domaine des circuits courts.

Les outils commerciaux méconnus du monde agricole

Pouvez-vous vous présenter ?

S.P. : Je m’appelle Sébastien Pelka, j’ai 42 ans et suis au service de mes clients depuis 2 ans maintenant. Je suis un professionnel atypique de la distribution qui a une expérience globale et complète du sujet. J’ai une expérience terrain très forte et diversifiée à laquelle s’allie une expérience théorique et stratégique complète qui me positionnent en expert opérationnel global des points de vente, des points de contact avec la clientèle. Mon expertise terrain est à grand angle : vente en marché, magasins de produits Bio, magasins de producteurs, exploitations agricoles, salons de coiffure, pharmacies et cabinets kiné, et bien sûr la grande distribution (indépendants et intégrés) sur les formats drives, proximité, supers et hypers. J’accompagne mes clients, très rapidement dans un climat de totale confiance, dans leurs projets de développement. Je suis très vite considéré comme un membre à part entière de leur organisation. Je suis en phase finale de création de la plateforme web de service aux points de vente : Store Booster. Le lancement devrait être concrétisé en fin d’année.

Alors que l’on vous présente souvent comme le « Etchebest du commerce » et que vous êtes spécialisé dans l’« optimisation des points de vente », qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux circuits courts ?

S.P. : Je suis en effet un des rares spécialistes de l’optimisation de points de vente qui a cette vision globale en France. J’agis et interagis sur tous les leviers de rentabilité disponibles en point de vente : connaissance client et relation avec le client, parcours client, plans de masse, merchandising, assortiment, prix de vente, dynamisme commercial et communication, management, gestion des flux, formations métiers, organisation du magasin, animation des conseils d’administration, management… Ensuite, ce sont mes clients qui depuis un an et avec la plus grande sympathie me surnomment « le Etchebest du commerce ». Je travaille en totale confiance avec eux. Certains me laissent littéralement les clés de leur entreprise. Ce surnom vient du fait que j’ouvre les esprits, je crée de la valeur, j’accompagne, reste à leurs côtés. Je fais avec mes clients en leur apprenant à faire. Mes actions produisent du résultat : « ça marche ». Enfin ce sont mes enfants qui m’ont indirectement poussé à m’intéresser aux circuits courts. Je tiens à donner un avenir à mes enfants, pas à leur laisser le ticket de caisse de mon passé parce que je n’aurai pensé qu’à moi maintenant. Je n’imagine pas leur transmettre cette Terre sans faire ce que je peux pour aider les filières raisonnées, durables et courtes à se développer afin de mieux répondre à leurs consommateurs. Les solutions de filières raisonnées sont bel et bien l’avenir le plus sérieux qui nous attend. Notre avenir et celui de nos enfants est bien entre nos mains alors pour changer le monde, commençons par changer nous-mêmes. Changeons ce qui est à notre portée.

Quelle est votre définition du circuit court ?

S.P. : Le circuit court dispose au plus d’un seul intermédiaire. En circuit court, il est compréhensible que le producteur ou tout au plus un intermédiaire (coopérative agricole, distributeur…) vende ses productions agricoles au consommateur final. Un producteur, n’étant pas un commerçant, a besoin d’un soutien commerçant dans son magasin. Les magasins de producteurs ne disposant pas de ce soutien se rendent vite compte de leurs lacunes. Les défauts, les erreurs apparaissent et se paient très rapidement pour que peu de temps après l’ouverture du magasin l’euphorie s’efface devant les problèmes. Il ne suffit pas de décider d’ouvrir un magasin de producteurs ni de l’ouvrir n’importe où et n’importe comment pour qu’il fonctionne. Les ingrédients du succès se profilent de manière forte mais ils ne sont pas perçus par le monde agricole. Ce sont des ingrédients commerciaux et ce monde-là n’est pas outillé pour les percevoir de manière précise. Ensuite bien que souhaitant consommer local, le consommateur ne pardonne pas aux magasins de producteurs qu’ils fassent les mêmes erreurs, voire de pires, que la grande distribution. Le consommateur attend de ses producteurs qu’ils le lui rendent bien. L’important pour ces producteurs est de devenir des commerçants puis des commerçants meilleurs que les autres (en interdisant l’achat-revente).

Circuits courts : un nécessaire positionnement sur le fermier, le local et la qualité

D’après vous, pourquoi les consommateurs français semblent plébisciter les circuits courts depuis quelques années ?

S.P. : En disant « circuits courts », le consommateur associe aisément les idées de « fermiers », de « local », de « qualité » du produit ou des méthodes de production. Un réel méli-mélo de ces idées apparaît dans nos esprits lorsqu’on en prononce l’une d’elles. Il me parait opportun de faire un point de ces quelques définitions qui se confondent. Cela nous aidera à trouver le positionnement le plus favorable et qui sera perçu favorablement par le consommateur. Un circuit court, c’est un mode de commercialisation qui se définit soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire. Concernant les produits fermiers, il n’existe pas de définition réglementaire applicable à tous. C’est quoi un produit fermier pour vous ? On peut lire : « fermier-élevé en plein air » ou « fermier-élevé en liberté », « fabriqué selon les techniques traditionnelles, par un producteur agricole ne traitant que les laits de sa propre exploitation sur le lieu même de celle-ci »… Le code des usages de la charcuterie précise que le terme « fermier » s’applique à des produits fabriqués à la ferme, avec des viandes d’animaux élevés à la ferme. La jurisprudence a fixé les grands principes pour une utilisation non mensongère de ce terme. Elle préconise des méthodes de production traditionnelle dans un circuit intégré à la ferme, en indiquant que les produits doivent provenir principalement de l’exploitation mais également des fermes voisines si l’exploitation conserve un contrôle direct sur les produits (traçabilité). En revanche, peu importe les modalités de commercialisation et le statut juridique de l’exploitation. Local n’a pas plus de définitions que celles du Larousse, des chartes d’engagement de magasins de producteurs en vente directe ou des labels biens identifiés AOC, AOP, IGP… Car qui peut se déclarer plus local qu’eux ? Par local, entendons-nous uniquement des distances réduites entre le producteur et le consommateur ? C’est le sens que le consommateur lui donne et que j’utiliserai. La définition du mot local a toujours été bien complexe et sujette à nombre d’interprétations. Il devrait être intéressant de faire décrire par les consommateurs ces notions de local, fermier et circuit courts, car ces termes s’adressent bien entendu à leurs consommateurs. Ce sont leurs cibles. Les écouter et répondre à leurs attentes, c’est gagner.

Savez-vous s’il existe des définitions plus précises ailleurs ?

S.P. : Par exemple les Canadiens ont toujours adoré leurs fruits et légumes. Dans l’ancienne politique, le Canada, interprétait les termes « local », « cultivé localement » et autres termes similaires comme signifiants : (1) que l’aliment avait été fabriqué dans un rayon de 50 km de l’endroit où il était vendu, (2) que l’aliment provenait de la collectivité locale (par exemple la municipalité) où il était vendu ou d’une collectivité locale adjacente. Le Canada, qui réalise un examen des règlements d’étiquetage notamment sur l’utilisation du terme « local » et n’arrivant pas à définir le terme « local », a adopté une politique provisoire qui permet son utilisation pour les aliments produits dans la province ou le territoire où ils sont vendus, et les aliments vendus dans d’autres provinces ou territoires dans un rayon de 50 km de la province ou du territoire d’origine. En France on réalise une approche régionale privilégiée et depuis 2002, des modalités de contrôle de la qualité adaptées pour les ventes dans un rayon de 80 km autour de l’exploitation tendant à devenir 200 km dans les zones rurales peu denses en habitation.

Comment est ressentie la qualité du produit par le consommateur ?

S.P. : La qualité c’est l’aspect, manière d’être de quelque chose, ensemble des modalités sous lesquelles quelque chose se présente ou alors c’est chacun des aspects positifs de quelque chose qui font qu’il correspond au mieux à ce qu’on en attend. Par qualité, j’entends qualité environnementale, hygiène qualité, et qualité du produit. La qualité environnementale c’est la réduction des déchets, du gaspillage, de la pollution et l’amélioration des méthodes de production. L’hygiène qualité ce sont les principes visant à conserver la santé. La qualité du produit c’est son appréciation par les consommateurs. Il est essentiel, pour être perçus correctement, que les circuits courts se positionnent clairement et fortement sur ces idées de fermier, de local, et de qualité.

Quels sont les arguments des circuits courts pour les consommateurs, et pour les producteurs ?

S.P. : Les circuits courts, longtemps cantonnés à quelques cercles d’érudits, sont désormais sortis de la marginalité. Ils correspondent à une nouvelle attente des consommateurs, que les crises sanitaires, climatiques et économiques accentuent. Ceux-ci sont en demande croissante de produits de terroirs, d’aliments bio et de produits locaux. Avant tout, ils recherchent des produits frais, de meilleur goût, une excellente traçabilité, le tout à des prix raisonnables et justes. Ensuite viennent d’autres critères qui donnent du sens à l’acte d’achat. Soutenir l’économie locale, favoriser l’emploi ou encourager des valeurs plus environnementales (contribuer à limiter les émissions de CO2 et présentant une démarche éco-responsable). Par ailleurs, l’activité de ces exploitations, qui suit davantage les saisons, est plus diversifiée que celles des exploitations traditionnelles. Cela tend à les rendre moins vulnérables aux aléas économiques et climatiques. Cette relocalisation de l’économie répond aux préoccupations écologiques visant à diminuer les dépenses énergétiques. Les produits vendus en circuits courts parcourent peu de distances, nécessitent moins d’emballage et de conditionnement. Développer les circuits courts permettrait donc de réduire l’impact écologique du secteur agroalimentaire, responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Le transport, grand producteur de CO2, surtout par avion, est bien sûr en cause. Mais il n’est pas seul. L’activité liée à l’agriculture intensive a largement sa part de responsabilité en matière de pollution. Les productions vendues en circuits courts semblent plus souvent issues de pratiques alternatives, qu’il s’agisse de l’agriculture raisonnée ou de l’agriculture biologique (gestion économe et équilibrée des ressources en eau, contribution de l’exploitation à la protection des paysages et de la diversité biologique, maîtrise des intrants agricoles ainsi que des effluents et des déchets produits par l’exploitation…). Tout consommateur d’un circuit court vous le confirmera : il est plus bénéfique à tous points de vue (santé, partage, lien social, impact sur l’environnement, …) de consommer moins et mieux que l’inverse ! Le retour des circuits court est aussi caractéristique d’une redéfinition des volumes consommés et de leur fréquence.

En quoi ces ciruits courts correspondent à un acte citoyen selon vous ?

S.P. : Les avantages de la commercialisation locale consistent aussi en des atouts socio-économiques : ancrage territorial de l’activité agricole, meilleure valorisation des produits par le producteur, rapprochement entre l’agriculteur et le consommateur, et plus grande implication des acteurs publics et des habitants dans l’agriculture, comme des consommateurs dans leurs choix alimentaires. La consommation locale peut ainsi contribuer à l’alimentation durable. Les consommateurs fréquentent aujourd’hui les circuits courts pour réaliser un acte d’achat : citoyen, durable, raisonné et porteur de sens, sain pour l’Homme et son environnement, responsable. A ce jour il est estimé que plus de 21 % des exploitations agricoles (ruches, fruits, légumes, vignes, élevage) vendent en circuits courts et en particulier en vente directe (recensement agricole), et que 25 % des consommateurs achètent en magasins de producteurs.

Les « vrais » circuits courts et les autres…

Pouvez-vous nous parler de l’expérience Hop’La ! en Alsace qui semble vous tenir particulièrement à cœur ?

S.P. : Hop’la ! en direct de nos fermes, quelle belle aventure ! Des producteurs qui deviennent de vrais commerçants, accueillants et dynamiques ! Le point de vente collectif Hop’la en Alsace est devenu un exemple en termes d’expérience réussie de vente directe. Chez Hop’la le producteur reste propriétaire de sa production jusqu’à la vente du produit. C’est de la vente directe avec zéro intermédiaires. Les producteurs se sont réunis en coopérative qui gère le magasin et dont l’objectif est simplement de couvrir ses charges. La structure ne doit pas faire de bénéfices. L’ensemble des revenus revient aux exploitations membres de la coopérative. Les producteurs sont propriétaires de leur magasin. Le producteur donne de son temps à la vie du magasin collectif et œuvre sur tous les fronts (réassorts des rayons, accueil des clients, service aux stands, animations…). Hop’la a aujourd’hui clairement défini son ADN : 100 % fermier, 100 % local, 100 % qualité, 100 % confiance. Les producteurs se sont fortement engagés sur cette colonne vertébrale. Hop’la, qui a trouvé son identité, communique avec des tracts, des actions commerciales, du mécénat d’actions sportives ou associatives sur son bassin de consommation. Le magasin s’est organisé de manière 100% locale et durable dans ses démarches de communication. Nous avons réussi à construire une filière locale : imprimeur local engagé dans l’environnement (imprim’vert), papier 100% recyclé, agence communication à deux pas du magasin. Hop’la a été récompensé par le Fond’Action Alsace en obtenant le premier prix dans la catégorie « économie ». Hop’la est visité très souvent par de nouveaux projets en création, des projets français, allemands et hollandais. Et oui, l’Allemagne écologique, bio et durable est en retard sur les circuits courts français ! Avec un tel dynamisme et un tel succès il était devenu difficile pour certaines exploitation d’approvisionner le magasin. Des limites de production sont atteintes. Hop’la s’est organisé pour intégrer de nouveaux producteurs, validés par la coopérative et ses valeurs, pour pouvoir continuer à satisfaire la demande de ses clients.

Y a-t-il d’autres expériences de ce type que vous avez accompagnées ?

S.P. : Je travaille aussi avec Couleurs Paysannes à Manosque sous forme de missions ponctuelles. Ils possèdent deux magasins de vente directe. Le principe de fonctionnement est quasiment le même qu’Hop’la : producteurs réunis au sein d’un point de vente collectif en vente directe. Et il y a la Ferme Saint Ulrich en région de Strasbourg, un producteur laitier que j’accompagne au repositionnement, à la refonte de sa gamme de produits laitiers d’une rare qualité. J’ai également accompagné un producteur de fromages bio en Lorraine. J’ai récemment entamé un partenariat avec Marchands des 4 Saisons, une toute nouvelle enseigne très dynamique. C’est un drive fermier de 150 points de collecte qui ouvre ses premiers points de vente physiques. C’est une belle aventure qui commence.

Qu’est-ce qui différencie Hop’la d’autres initiatives comme Frais d’ici d’In Vivo par exemple ?

S.P. : Pour bien comprendre les différences entre « Frais d’Ici ou d’ailleurs », « Les Halles de l’Aveyron », « O’Tera », « Hop’la » et « Couleurs Paysannes » il me parait important de synthétiser les principales clés de ces enseignes. (Ndlr : 10 tableaux ci-dessous, l’interview se poursuit ensuite)

On comprend ici que des multinationales, de très grands groupes agricoles et des enseignes typées GSA s’engouffrent dans ce créneau porteur en jouant avec les notions de local, fermier, circuits courts. Il ne suffit pas de l’afficher, mais de bien le faire comprendre au consommateur. Ces grands groupes ont compris l’importance d’être commerçant et leur avance sur les producteurs en vente directe se regroupant sous un même toit, le point de vente collectif.

Un phénomène appelé à se développer à condition de respecter quelques clés de réussite

Ce type d’enseignes va-t-il se multiplier sur le territoire français ou cela va-t-il rester des expériences ponctuelles ?

S.P. : Ce type d’enseignes va effectivement se développer car il correspond à de grandes et profondes tendances de consommation et à un grand espoir des agriculteurs. Ces initiatives seront pérennes avec des producteurs devenus commerçants, assez nombreux et variés pour assurer eux-mêmes la vente de leur production, en vente directe. Il est essentiel de quitter l’outil du champ pour se tourner vers son client et accepter ses attentes. Il est essentiel d’admettre la concurrence et de se battre commercialement. La concurrence sera rude entre enseignes « locales ».

Et est-ce que cela va concerner aussi des grandes agglomérations ou même la région parisienne ou est-ce plus difficile à mettre en place dans ces territoires de fait plus éloignés des lieux de production ?

S.P. : Les grandes agglomérations ne sont jamais très loin des champs. Les initiatives réussies des points de vente collectifs sont proche des logements, à la frontière entre la ville et la campagne placées en zones périurbaines ou villes de taille moyenne. Les petits magasins de centre-ville ont plus de mal à fonctionner. Un assortiment de petite taille doit absolument être efficace. Il est préférable de faire porter ces petits magasins par un magasin plus grand. Les points de vente collectifs ont effectivement des difficultés à pénétrer et livrer Paris. De par ces contraintes logistiques, le point de vente qui y arriverait aurait beaucoup de mal à tenir la promesse du consommer local ou alors en petites quantités sur des produits d’ultra frais. Soit les choix se reporteront sur des produits à DLUO plus longues pour maîtriser la démarque, et le cercle vicieux est en route, soit il devra changer ses approvisionnements, sortir de la vente directe et peut-être même des circuits courts, pour devenir un spécialiste produits frais. Ce serait une mutation de magasins locaux en spécialistes des produits frais type Grand frais vendant banane et ananas. La frontière est très poreuse entre « spécialiste produits frais » et « magasin de produits locaux axé qualité ».

Est-ce que d’un point de vue commercial, les enseignes spécialisées dans les circuits courts sont des réussites ? 

S.P. : C’est bien le consommateur qui fera ses choix au final. Alors que souhaitera-t-il ? Que choisira-t-il entre des multinationales agricoles dans lesquelles la traçabilité n’est pas meilleure pour remplacer les enseignes de distribution ou des points de vente collectifs en vente directe où il connait le producteur et l’origine du produit qu’il achète (avec les garanties de l’interdiction de l’achat-revente) ? Ce consommateur nous dessine aujourd’hui ses attentes, le modèle qu’il préfère. Il s’agit bien du point de vente collectif en vente directe. Tous les indicateurs concernant ces magasins sont au vert clair ! On remarque ainsi que le modèle du point de vente collectif regroupe tous les atouts. Des ratios commerciaux hors normes, une attractivité défiant les plus grands hypers, une organisation du monde agricole autour du magasin qui se profile précisément, une implantation dès les zones les moins peuplées…

Et quels sont les ingrédients du succès d’après vous pour ces magasins ?

S.P. : Les enseignes de vente-directe sont les spécialistes de la relation producteur-consommateur qui assurent le moins d’intermédiaires et la traçabilité la plus simple. L’environnement : (1) ne pas s’opposer aux grandes surfaces alimentaires, en être complémentaire car le client vient de la GSA (dentifrice, piles électriques,…), (2) être proche des exploitations agricoles, (3) une implication forte du magasin dans son bassin de consommation (mécénat associations, sport…). Le point de vente : (1) entre 350 et 900 m², (2) se situant dans les zones de plus de 45 000 habitants, (3) en zone périurbaine sur les axes travail-domicile (urbaine possible si un point de vente péri-urbain soutient l’urbain ou avec des casiers de retrait, points de retraits drive fermier…), (4) avec 2 000 à 3 000 références, (5) avec une offre la plus large possible mais limitée par le caractère local et saisonnier des produits : une offre de spécialiste des produits locaux (Il est important d’avoir tous les produits qui se produisent localement. Le magasin collectif doit devenir le magasin primaire sur le panier frais de sa zone de chalandise), (6) des réserves conséquentes : 1m² de surface de vente = 1m² de stockage réel (hors zones de passage), (7) un parking conséquent : 100 places pour 400m² env., (8) accompagner le développement de ces points de vente sur le territoire pour limiter les effets de concurrence « interne », (9) la présence des producteurs en magasin, (10) le point de vente collectif doit se faire accompagner sur le commerce et l’hygiène qualité. Il reste à construire les différentes typologies de magasins : proximité, super, urbain, péri-urbain et rural. Les engagements autour d’une une éthique musclée : (1) tenir des engagements de production et d’origine 100 % du producteur : la vérité sur l’origine des produits, (2) interdire et punir l’achat-revente, (3) produire en préservant l’environnement, (4) soutenir les exploitants dans leur développement commun avec le territoire de leurs consommateurs, (5) déterminer les coûts de revient des productions : il est essentiel que l’exploitation agricole maîtrise sa gestion pour qu’elle soit pérenne. Aujourd’hui les magasins collectifs observent encore trop les prix pratiqués par les grandes surfaces pour déterminer les leurs. La maîtrise des coûts de revient leur permettra d’effacer les effets prix des marchés internationaux et de proposer réellement le juste prix gagnant-gagnant.

Cet engouement pour les circuits courts chez les consommateurs est-il durable ou bien est-ce l’effet de leur réaction face à différentes crises liés à l’alimentaire (crises sanitaires ou de confiance type viande de cheval), voire un effet de mode ?

S.P. : Les crises alimentaires sont en effet des déclencheurs. Elles concernent principalement le milieu de l’élevage. Elles ont soulevé les questions sur l’origine des produits, la traçabilité, les modes de production. A chaque crise alimentaire animale le taux de végétariens augmente. Le consommateur recherche des garanties fortes concernant l’origine des produits qu’il consomme. Les crises climatiques sont aussi des déclencheurs. Le consommateur est plus sensible aux effets environnementaux, à la pollution. Ce sujet concerne l’ensemble de l’agriculture du maraîchage à l’élevage en passant par le transport des produits (avions, bateaux, camions…). Le consommateur réagit fortement lorsqu’il s’agit des conditions d’élevage. Il n’accepte plus des conditions d’élevage ou d’abattage ne respectant pas l’animal. Ces sujets sont d’ailleurs évités dans la communication des grandes marques alimentaires. Par exemple nous ne voyons pas la phase d’abattage dans la pub MacDo qui présente la fabrication de son steak haché. L’animal devient steak aussi simplement qu’en tournant une page d’un livre. Les crises économiques sont aussi des déclencheurs importants. Le consommateur est sensible à la problématique du chômage. Pourquoi produit-on ailleurs si on peut le faire ici avec les personnes que l’on côtoie et qui cherchent à travailler ? La lecture de toutes ces problématiques est difficile en grandes surfaces. L’étiquetage est compliqué, l’origine n’est pas suffisamment claire. Cela prend beaucoup de temps au consommateur d’y porter attention. Cette lecture est très claire lorsqu’il s’agit de la vente directe ou d’un point de vente collectif. Ces tendances sont des tendances de consommation de fond. Elles ont quitté les courants parallèles et élitistes pour s’ancrer de manière durable dans l’esprit des gens. Le consommateur devient responsable. Il prend conscience de l’importance de son acte d’achat. Certains l’appellent le Consomm’acteur, d’autres le Locavore, d’autres encore le consommateur citoyen. Il est en recherche de garanties sanitaires et de vérité. Ces tendances sont bien installées, appuyées par la crise. Elles révèlent de profonds changements des modes de consommation qui n’ont rien à voir avec des effets de mode. Elles révèlent un avenir prometteur pour les hommes.

Enfin, quel est l’intérêt des producteurs agricoles dans ce développement des magasins spécialisés dans les circuits courts ?

S.P. : Les atouts des circuits courts pour les producteurs agricoles sont les suivants : (1) une marge supérieure et de meilleurs revenus, (2) une diversification des sources de revenu, (3) une sécurisation des débouchés, (4) une diminution des risques, (5) une qualité de vie et une indépendance, (6) de nouvelles compétences, (7) une valorisation des producteurs et de leurs conjoints, (8) des retours des clients, une notoriété / réputation / reconnaissance, et (9) une ouverture aux autres. Il existe cependant des limites : (1) des investissements parfois importants, (2) cela demande du temps, de la disponibilité (vente au magasin, à la ferme), (3) des déplacements, un entretien de la clientèle, (4) la gestion d’une gamme de produits et de services, une organisation du travail, (5) un chiffre d’affaires variable avec un risque de pertes, (6) les exigences de la clientèle, (7) un accès parfois limité, la saturation de certaines zones, la concurrence, (8) un manque de visibilité, (9) une logistique insuffisante / économies d’échelle, (10) la capacité et la volonté du producteur d’évoluer, et (11) la capacité du producteur à se faire conseiller.

 

En savoir plus : http://sebastien-pelka.fr/ (site de Sébastien Pelka), http://sebastien-pelka.fr/curriculum-vitae/ (biographie de Sébastien Pelka), store-booster.com (plateforme web de services aux points de vente), www.hopla-ferme.fr/ (magasin de producteurs Hop’la ! en Alsace), www.ferme-saint-ulrich.fr/ (site de la ferme Saint Ulrich en Alsace), www.vente-directe-producteurs-manosque.fr/ (site de Couleurs Paysannes dans les Alpes de Haute-Provence), www.marchandsdes4saisons.fr/ (site des marchands des quatre saisons), http://alimentation.gouv.fr/circuit-court-local-consommation (page du site du ministère de l’Agriculture consacrée aux circuits courts qui contient aussi la définition qui en est donnée ici), www.ania.net/wp-content/uploads/2015/07/22_juin_think_tank_agroalimentaire-bd.pdf (rapport du Think tank agroalimentaire publié en juin 2015).

Les photos qui illustrent cet article (ci-dessous) ont été fournies par Sébastien Pelka : son portrait, Hop’la ! , et Couleurs paysannes.

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