bovins viande

« Je ne sais plus à qui vendre mes bovins ! »

Selon Matthias, éleveur de bovins viande de très grande qualité, les filières sont organisées pour faire vivre les intermédiaires (marchands de bétails, marchands d’aliments, groupements de producteurs nourrissent les filières) en affamant les éleveurs.

« La filière bovine est pleine de contradictions », déplore Matthias, éleveur de bovins viande dans le Centre-ouest (tous les témoins de cet article sont réels, mais préfèrent conserver l’anonymat ; les prénoms ont tous été modifiés).

Matthias témoigne à WikiAgri son désarroi. Il approvisionne les plus grandes boucheries, mais depuis quelques mois, elles boudent ses bêtes. Les restaurateurs étoilés aussi. « Ces derniers proposent sur leurs cartes de la viande française hors de prix payée trois fois rien aux éleveurs, au prix d’un vache laitière », explique Matthias dégouté. « C’est comme si il y avait une surproduction de viande de qualité ».

Pierre, restaurateur dans le 10e arrondissement de Paris « ne connait pas l’éleveur de la bête vendue par (son) fournisseur ». « Ce dernier fait écran et marge », ajoute-il, conscient que les producteurs de bovins viande « cœur de gamme » ne sont pas, eux, rétribués correctement.

« En fait, je compte sur mon fournisseur pour me fournir la viande que je veux cuisiner et que je veux proposer à mes clients », rapporte Pierre. Et si il n’est pas satisfait de la viande vendue, il change de fournisseur. Mais ce dernier ne prend en fait aucun risque. Il vend depuis quelques mois à Pierre de la viande d’Angus et délaisse les animaux de race à viande française.

Antoine, artisan boucher dans le même arrondissement, déplore au contraire de ne pas trouver de bêtes assez grosses et bien maturées. « On est prêt à prendre des bêtes de 1 000 kilos ! Mais on n’en trouve pas ! », assure t-il.

De la viande de qualité transformée en haché

Mais dans les rayons de boucherie traditionnelle de la grande distribution, les animaux lourds n’ont plus la côte, car leurs conformations ne répondent plus à leur cahier des charges. Si bien que des dizaines de milliers de carcasses de plus de 450 kilos sont dorénavant vouées à être transformées en viande hachée !

Les efforts fournis par les éleveurs spécialisés depuis des années pour sélectionner des animaux et pour monter leur production en gamme ne sont pas récompensés. « Résultat, je ne sais plus à qui vendre mes bovins », déplore Matthias.

« Il faut des produits de qualité mais les ovins et les bovins à l’herbe n’ont plus la cote, ajoute-il. Les grands bouchers parisiens que j’ai contactés me disent que les viandes françaises sont trop grosses, trop vieilles avec du gras superficiel. Ils préfèrent des animaux hors sol. » Poursuivant : « Ce que l’on pense être bon, est mauvais, m’a même dit l’un d’entre eux. »

Par ailleurs, « les bouchers et les restaurateurs veulent de la viande ‘’grillable’’ mais que faire des morceaux de carcasse qui ne sont pas appropriés ? »

En fait, les éleveurs ne sont plus maîtres de leurs produits depuis longtemps. « Sans contact direct, comment s’assurer que le produit convient au boucher et au restaurateur. Autrefois, le boucher achetait directement à l’éleveur ses animaux. »

Aussi, il faut recréer des liens entre les boucheries, les restaurants étoilés et les éleveurs pour ne plus être sous le joug des intermédiaires. L’internet pourrait retisser ces liens.

Telle qu’elle est organisée, la traçabilité permet de suivre le parcours du produit mais elle ne garantit pas le produit fini, et encore moins son prix. « L’éleveur est responsable des animaux mais une fois livrés, on ne maitrise plus rien, défend Matthias. Dans les abattoirs, on n’hésite pas à mélanger les morceaux de viande de différente qualité. Et au final, le producteur ne s’y retrouve plus ».

« Combien d’éleveurs reprennent des carcasses qui ne sont pas celles des animaux livrés, renchérit Matthias. Et je ne compte plus les erreurs de pesées ou de classement commises pour payer les producteurs ! »

Pour Matthias, la filière viande bovine a été construite pour « nourrir »les intermédiaires mais pas pour payer et assurer un revenu aux éleveurs.

« Les éleveurs se sont regroupés
pour faciliter la commercialisation,
mais pour en finir,
ce sont ces groupements qui nous ruinent !
« 

« On travaille pour le système sans retour en terme de prix. Les producteurs se sont regroupés en groupement pour faciliter la commercialisation… Et pour en finir ce sont eux, les groupements, qui nous ruinent ! », explique encore Matthias.

Faute de débouchés suffisants sur le marché intérieur et à l’export, le marché de la viande pour haché aligne les prix des bovins viande « cœur de gamme » sur ceux des vaches laitières réformées et autres bovins légers destinés à la transformation en haché.

La croissance de 0,7 point par an du marché de la viande pour haché fait des victimes : les producteurs de bovins spécialisés. Ce marché représente dorénavant 42 % des différents types de viandes de bœuf achetés par les ménages en 2014. Et plus il croît, plus il rend la valorisation de leurs animaux issus de troupeaux allaitants compliquée !

Et pendant ce temps, les consommateurs achètent toujours leur viande aussi chère. Parfois plus de 50 €/kg dans certaines boucheries parisiennes alors que les animaux ont été payés 4 €/kg au producteur !

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/94229149.

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