louis ganay

« J’avais déjà choisi la poutre la plus solide »

Ame sensible s’abstenir. Quoique, en l’occurrence, happy ending. Voici le témoignage d’un agriculteur jeune (35 ans), qui raconte comment il a failli se suicider, avant, à la faveur d’une rencontre salutaire, de reprendre goût à son métier d’éleveur.

La journée du 11 octobre en faveur des familles de suicidés (tous les liens en fin d’article) fut aussi l’occasion de rencontrer des agriculteurs, ou des familles d’agriculteurs, décomplexés, acceptant de livrer leurs propres expériences. Louis Ganay est jeune, il n’a que 35 ans aujourd’hui. Il arbore fièrement son appartenance aux JA avec le sigle syndical sur la poitrine, il est d’ailleurs membre du bureau des Jeunes Agriculteurs du Morbihan. Et pourtant, il y a à peine plus de 6 mois, il a failli passer à l’acte.

Installé seul pas très loin de Lorient, en lait, il est à la tête de 50 vaches laitières. « En 2014, raconte-t-il, j’ai perdu un tiers du troupeau. 15 vaches précisément. De manière foudroyante, elles étaient victimes, les unes après les autres, de crises cardiaques. J’ai demandé des analyses, des autopsies, je n’ai jamais su la cause. Mais toujours est-il que, économiquement, j’ai subi une perte majeure. Parallèlement, le prix du lait baissait, impossible de se refaire, au contraire, une vraie spirale. En janvier dernier, j’ai eu un chèque refusé, je me suis retrouvé interdit bancaire…« 

« Je ne voulais pas me rater »

Un arrêt. Il n’hésite pas à raconter : quelque part, le fait d’en parler doit lui permettre aussi de reprendre le dessus. Mais ça n’empêche pas l’émotion au moment d’évoquer les souvenirs les plus durs. Il reprend : « J’ai perdu pied, j’ai connu la dépression. J’errais chez moi en regardant au plafond quelle pouvait être la poutre la plus solide. Ou s’il ne fallait pas mieux accrocher la corde au tracteur. Je l’avais, la corde, elle était prête. Et je ne voulais pas me rater…« 

Il s’en est donc fallu de peu pour qu’il ne passe à l’acte, avant finalement de se raviser. « J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un, un guérisseur. Et il m’a bien aidé, m’a rappelé les raisons pour lesquelles j’avais choisi d’être agriculteur, pour nourrir les autres : si moi j’arrêtais, qui allait s’en charger ? Le paysan est indispensable à la société. J’ai retrouvé goût à la vie en même tant qu’en lui redonnant un sens. Cette voie spirituelle est essentielle pour moi.« 

Aujourd’hui, l’interdiction bancaire n’a pas encore été levée, mais Louis Ganay le supporte. « C’est vrai que je me suis retrouvé seul face à mes problèmes. Installé dans le Morbihan, alors que venant de la Côte-d’Azur, je ne connaissais personne. Chez les JA, je pense que les autres n’ont pas compris ce qu’il se passait pour moi. Aujourd’hui, je me reconvertis en bio, je m’offre un nouveau challenge, avec mes montbéliardes, mes brunes, et mes prim’holsteins.« 

« Je dis, attention à la spirale ! »

Quand il analyse ce qu’il a vécu, avec un certain recul, Louis Ganay veut prévenir. « Je dis, attention à la spirale ! La plupart des suicides, je pense, ne sont pas prémédités. Ils se décident dans l’instant, sur un coup de blues plus fort que les autres, et en 10 secondes l’irrémédiable est commis. Ma chance à moi, quelque part, fut de préparer le mien, ce qui m’a laissé le temps de réfléchir, de penser que j’avais encore de nombreuses années à vivre, beaucoup de choses à connaître. Mais je sais qu’il existe un moment où on ne voit plus rien de positif, où tout est sombre, noir. Et qu’à ce moment-là, on est prêt à tout. Quand j’allais voir mes vaches, elles se détournaient de moi, me fuyaient. Aujourd’hui, c’est l’inverse, elles viennent vers moi, elles sentent que ça mieux pour moi. (un sourire) Elles sont presque collantes. C’est très important, pour un éleveur, le rapport avec ses vaches…« 

Et s’il témoigne volontiers, c’est aussi pour exprimer qu’il existe la possibilité d’aller au-delà de la dépression, et de revivre après avoir réussi à la passer. Il répète : « Attention, en 10 secondes on peut tout arrêter… » Alors que « la vie est un bien si précieux« …

 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/suicides-en-agriculture-la-conscience-merite-plus-quune-journee/6235 (le compte-rendu de la journée du 11 octobre, avec son analyse) ; https://wikiagri.fr/articles/11-octobre-2015-journee-de-deuil-national-en-memoire-du-paysan-meconnu/6157 (tribune rédigée par Jacques Jeffredo, organisateur de la journée du 11 octobre) ; https://wikiagri.fr/articles/11-octobre-2015-journee-nationale-pour-les-familles-des-suicides-en-agriculture/4967 (article expliquant les raisons de la journée du 11 octobre).

 

Article Précédent
Article Suivant